Adapter les espaces à la perception sensorielle des personnes avec autisme
S’éduquer à l’impact des environnements urbains sur les individus, et à l’importance de prendre en compte les besoins de chacun.e dans la conception d’un projet, est une étape nécessaire vers une plus grande inclusivité des espaces urbains et architecturaux. Inclure les destinataires des espaces dans leur conception, et se décentrer ainsi de sa propre perception, apparaît ainsi primordial. Mais dans cette démarche, il est particulièrement crucial de considérer le vécu, souvent insondé, des personnes qui ne vivent pas la ville “comme tout le monde”.
Ce travail, nous l’avons mené dans le cadre d’un projet d’aménagement d’un lieu ressource pour les personnes avec autisme, leur entourage, et les professionnels de l’autisme, en tant qu’assistants à maîtrise d’ouvrage et d’usage. Nous avons accompagné l’équipe tout au long de la conception : en amont, en produisant un guide de recommandations spatiales basé sur une revue de la littérature scientifique en sciences cognitives et des ateliers de recueil de besoins avec les personnes concernées ; au cours de la conception, en collectant les retours des personnes concernées sur les plans et en les relayant auprès de la maîtrise d’ouvrage.
Bien au-delà de ce projet, il apparaît essentiel d’inclure les personnes présentant un trouble du spectre autistique (TSA) dans la conception des espaces pour différentes raisons : jusqu’à 1 personne sur 150 dans le monde présenterait un TSA [1] et les particularités liées au TSA peuvent influencer significativement le rapport à l’environnement [2]. De quoi s’agit-il exactement ? Le TSA est une condition neurodéveloppementale associée à un large éventail de manifestations. Ces manifestations touchent particulièrement les relations sociales, la communication et les comportements et intérêts de l’enfant et de l’adulte. Mais les personnes avec autisme ont également des particularités sensorielles, perceptives et de fonctionnement exécutif qui influencent leur adaptation au monde environnant [3]. Parmi ces particularités nous pouvons notamment évoquer les fluctuations entre l’hyposensibilité et l’hypersensibilité [4], pouvant entraîner des variations de la charge sensorielle. Lors d’épisodes de surcharge sensorielle, où les personnes sont particulièrement vulnérables à l’ensemble des stimuli sensoriels, un besoin immédiat de repli et de restauration peut apparaître. Une autre particularité de l’autisme est une difficulté d’intégration multisensorielle [5], c'est-à-dire de la capacité à combiner des informations provenant de plusieurs modalités sensorielles (vision, audition, perception du corps, etc.). Les personnes avec autisme sont également enclines à une perception orientée sur les détails [6]. Cela peut entraîner des difficultés à intégrer une trop grande quantité d’informations et de variations en provenance de l’environnement.
L’environnement bâti et urbain influence nos perceptions et notre bien-être, et cet impact peut devenir un frein dans le quotidien des personnes avec des particularités sensorielles. En effet, ces environnements, souvent associés à une stimulation sensorielle importante [7], peuvent compromettre la possibilité, pour les personnes avec autisme, d'interagir de manière autonome et de vivre pleinement et confortablement dans ces environnements [8]. C’est pourquoi il est fondamental de porter une attention particulière à la conception d’espaces inclusifs et bénéfiques pour le bien-être de tous et toutes, notamment des plus sensibles. Bien sûr, nos besoins (en matière de perception notamment) varient, au cours d’une journée comme au cours de notre vie, tout comme l’expression des particularités sensorielles varie d’une personne à l’autre, ou même d’un moment à l’autre pour une même personne. Rendre les espaces inclusifs, c’est avant tout prendre en compte un large spectre de besoins dans tous les lieux et services dont nous avons besoin chaque jour. Afin de trouver les compromis pour que ces environnements puissent offrir des espaces appropriables en fonction de la multiplicité des besoins, il est pertinent de s’inspirer des lieux conçus spécialement pour adresser les besoins spécifiques, afin de pouvoir les traduire autant que possible dans les espaces urbains et architecturaux du quotidien.
Alors comment adapter nos environnements urbains et architecturaux afin de soutenir l’autonomie et le confort des personnes avec autisme ?
Voici 3 grands enseignements spatiaux qui ont émergé de notre travail centré sur les besoins des futurs usagers, les retours de terrain, et les résultats de la recherche en sciences cognitives.
Garantir le confort sensoriel dans l’espace pour réguler la sensorialité
Le confort sensoriel est primordial pour favoriser l’adaptation des personnes avec autisme à leurs environnements. Cela permet de limiter la fatigue cognitive, le stress et l’anxiété et de leur permettre de mieux réguler la charge sensorielle. Dans ce cas, il est important de considérer le confort sensoriel des espaces de vie mais également de l’ensemble des espaces de transitions, telles que les circulations, les couloirs et les sas. Garantir le confort sensoriel requiert de concevoir des espaces qui limitent autant que possible les nuisances visuelles, sonores et olfactives et favorisent le confort, thermique et tactile, dans l’ensemble des espaces.
À éviter :
Aménager des espaces très ouverts dans lesquels les stimulations sensorielles sont trop importantes (bruits qui se propagent, impossibilité de contrôler les entrées lumineuses, difficultés à gérer la thermique, etc.)
Aménager des espaces dont l’ambiance serait institutionnelle et impersonnelle par souci d’hygiénisme ou de réduction des stimulations sensorielles.
À privilégier :
Concevoir des espaces qui limitent l’exposition à une quantité importante d’informations, de détails ou de motifs (visuelles, acoustiques, tactiles, etc.) et/ou offrent des sous-espaces où se retirer.
Éviter les variations environnementales fortes et soudaines (contraste fort de couleurs au sol ou au mur, ombres portées, portes qui claquent, variations de température, etc.). Privilégier des espaces de transitions graduels et des entrées de lumières douces et indirectes par exemple.
Permettre le contrôle des intensités sensorielles (occultants ajustables, variateurs de lumières, contrôle thermique, possibilité de ventiler naturellement tout en garantissant la sécurité).
Aménager les espaces de manière à éloigner les espaces bruyants et odorants des espaces de vie, de séjour ou de répit (toilettes, cuisines, machine à café, buanderie, déchets, etc.)
Concevoir des espaces confortables et esthétiques, et privilégier des ambiances domestiques et chaleureuses (couleurs neutres, tons pastels, matériaux naturels, formes arrondies, etc.)
2. Proposer une multitude d’espaces pour permettre l’auto-détermination
L’autisme se trouvant sur un spectre dont les manifestations sont différentes d’une personne à l'autre, il est indispensable de prendre en compte les variabilités des besoins. Cela demande de considérer l’espace de manière flexible et notamment de favoriser l’autodétermination, c'est-à-dire de donner la possibilité aux usagers de prendre des décisions dans l’espace, notamment relatives aux ambiances sensorielles dont ils ont besoin.
Ces espaces peuvent être conçus comme des zones sensorielles ou des alcôves répondant aux différents besoins (luminosité, couleur, isolement, stimulations différenciées). Ils peuvent également être modulables et évolutifs afin de permettre un sentiment de contrôle sur l’environnement (dispositifs permettant de gérer la lumière, le bruit, la température, l’occultation / la fermeture vis-à-vis des autres espaces, etc.).
À éviter :
Avoir une gamme de choix ou de modularité trop importante qui pourrait alors être vécue comme une difficulté supplémentaire (fatigabilité associée à la prise de décision face aux choix multiples).
Disposer des espaces dont la fonction n’est pas clairement identifiable ou dont les fonctions sont multiples, ce qui complexifie la compréhension des usages ou comportements qui y sont attendus.
À privilégier :
Permettre aux usagers de choisir des ambiances (lumineuses, tactiles, sonores, etc.) et des fonctions bien déterminées et claires afin d’éviter l’écueil de la confusion.
Répondre aux divers besoins de tactilité à travers une diversité d’ambiance et de matériaux (lisses, rugueux, etc.).
Prévoir des espaces et mobiliers divers et ajustables, que l’on peut choisir/adapter en fonction de ses besoins du moment (sièges modulables, assises molles et contenantes, mobilier adapté aux enfants, etc.).
3. Offrir des espaces de retrait pour permettre l’adaptation
Les espaces que nous côtoyons et nécessitons au quotidien, tels que les espaces urbains et les espaces publics ou services publics, sont pour la plupart inadaptés aux besoins spécifiques. C’est pourquoi ils peuvent être vécus comme un obstacle à l’inclusion pour une partie de la population. Pour cela, il est nécessaire de proposer ponctuellement des espaces de retrait sur les parcours urbains et dans les lieux publics afin d’aider l’adaptation et la restauration cognitive et sensorielle des personnes sensibles ayant vécu des stimulations trop importantes dans les différents lieux traversés (rues, halls centraux, transports publics, hubs, etc.).
À éviter :
Confondre absence de stimulation et stimulation choisie. Les espaces sans aucune stimulation possible n’étant pas propices à la restauration cognitive.
Concevoir des espaces de repli stigmatisants tels que des espaces trop petits et enfermants, non esthétiques.
Disposer les espaces de repli dans des endroits minimisant leur confort, tels que le long des circulations ou proches de lieux pouvant générer des nuisances sensorielles (proche d’un espace de restauration, d’un escalier ou ascenseur, etc.).
À privilégier :
Concevoir des espaces de repli limitant les stimulations subies tout en offrant des opportunités de stimulations choisies (dispositifs actionnables, visuels, sonores, etc.).
Rendre les espaces confortables et invitants (assises, ambiance chaleureuse et domestique, etc.)
Protéger ces espaces des stimulations sensorielles environnantes : les disposer proches d’espaces calmes (ex : espace de documentation, salle d’attente, etc.) et les isoler (murs capitonnés, panneaux acoustiques, rideaux, etc.).
Aujourd’hui les particularités sensorielles des personnes avec autisme font l’objet d’un intérêt particulier pour certain·e·s chercheur·se·s et architectes [9]. Des guides proposant des orientations d’aménagement de l’habitat [10] ou des espaces d’apprentissage pour enfants et adultes avec autisme [11][12] sont disponibles afin de guider les constructions. Pourtant ces recommandations, plus spécifiques à l’habitat ou aux espaces d’apprentissages, ne répondent pas aux difficultés des personnes avec autisme à tout âge et notamment dans les espaces du quotidien (transports, espaces partagés, services, etc.). C’est pourquoi il est fondamental de s’orienter vers une réelle inclusivité de nos environnement bâtis, et d’apprendre des constructions spécifiques adaptées aux personnes avec des perceptions et fonctionnements dits atypiques (TSA mais aussi troubles ou handicaps sensoriels et moteurs, etc.) afin de répondre à leurs besoins de manière universelle et dans les espaces urbains et publics. Sans compter que ces recommandations environnementales seront également appropriées pour l’ensemble des personnes qui feront face, au cours de leur vie, à des difficultés d'ordre sensoriel ou moteur (accidents, affections ponctuelles, troubles durables, vieillissement, etc.), soit la grande majorité d’entre nous. Concevoir des espaces accommodant différents besoins permet de favoriser le bien-être et la santé mentale, non seulement des personnes concernées, mais aussi de chacun de nous. C’est cela, se diriger vers un urbanisme et des environnements bâtis inclusifs et sensibles.