La pollution sonore : bruits de ville et maux de tête
Comment la ville sollicite-t-elle nos sens ? Cette question est chère à [S]CITY, que l’on évoque les images et les odeurs de la ville (ici), ou la musique dans les espaces publics (ici), nous pensons que la perception sensorielle fait partie intégrante de la vie urbaine. Cependant, cette expérience sensorielle diffère entre les individus : selon les quartiers dans lesquels nous vivons, nos sens ne sont pas tous exposés aux mêmes environnements, et le paysage sensoriel se transforme parfois en pollution. Par exemple, le niveau de bruit varie dans l’espace urbain, avec une pollution sonore accrue en périphérie des villes et près des grands axes de circulation, pollution qui s’accompagne d’effets délétères sur la santé et le fonctionnement cognitif. Et l’impact de ces inégalités environnementales est d’autant plus préoccupant qu’elles touchent les populations les moins favorisées, qui occupent généralement ces zones urbaines.
Depuis 1972, l’Organisation Mondiale de la Santé reconnait le bruit comme l’une des sources majeures de pollution, du fait de ses effets délétères sur la santé, à la fois auditifs (perte d’audition) et non-auditifs (hypertension, pathologies cardiovasculaires) [1]. Plus récemment, la recherche en sciences cognitives s’est intéressée aux effets du bruit environnemental (lié aux transports routiers et aériens, aux constructions, aux industries …) sur le fonctionnement de notre cerveau. Car si la pollution de l’air est aujourd’hui un enjeu de santé publique évident, l’impact de la pollution sonore sur la qualité de vie reste moins connu. Pourtant, de nombreuses études suggèrent désormais que l’exposition au bruit, notamment urbain, est néfaste pour nos fonctions cognitives.
Un des effets les plus renseignés dans la littérature scientifique aujourd’hui est l’impact du bruit sur la qualité du sommeil, qui influence par la suite notre bon fonctionnement cognitif. Les citadins ont sans doute tous déjà ressenti les bénéfices du calme sur leur sommeil lorsqu’ils dorment à l’écart de la ville, dans un endroit où la pollution sonore est faible. Pour cause, le bruit associé au trafic routier détériore la qualité du sommeil et altère le bien-être durant la période d’éveil qui suit [2]. Le manque de sommeil dû au bruit environnemental entraîne également une baisse de vigilance dans la journée et un déclin des performances cognitives [1]. Le bruit altère donc ce moment de repos crucial pour l'individu. Une étude a d'ailleurs récemment montré que le sommeil permet au cerveau d’évacuer les déchets potentiellement neurotoxiques qui s’accumulent durant les périodes d’éveil [3]. Ainsi, bien dormir protègerait le fonctionnement des neurones en permettant au cerveau de se « nettoyer », ce qui contribuerait à expliquer que le sommeil soit vital pour toutes les espèces animales. Pour ces raisons, il apparait évident qu’un sommeil dégradé par la présence de bruit ait un effet délétère sur notre fonctionnement cognitif, d’autant plus si l’on vit dans un quartier où l’exposition à la pollution sonore est permanente. Car même si une habituation peut survenir après une exposition répétée au bruit, le degré d’habituation diffère entre les individus, et est rarement complet [2].
De plus, la présence de pollution sonore impacte également notre fonctionnement cognitif de façon directe. Dès l’enfance, l’exposition chronique au bruit peut affecter les performances cognitives. Une étude menée sur près de 3000 enfants vivant près de régions aéroportuaires en Europe démontre en effet un lien fort entre bruit environnemental et détérioration des capacités de lecture et de mémoire [4]. L’impact du bruit peut même être observé lors d’expériences courtes en laboratoire où des participants sont installés dans des pièces diffusant différents types de bruits et effectuent des taches ciblant différentes fonctions cognitives. Les résultats montrent une diminution de la capacité à retenir des informations en mémoire, ainsi qu’une détérioration des performances d’apprentissage, lorsque les participants sont soumis au bruit urbain.
Enfin, les résultats de toutes ces recherches sont d’autant plus alarmants que la pollution sonore touche particulièrement des populations déjà fragilisées par leurs conditions de vie. En effet, le lien entre inégalités sociales et exposition au bruit a été établi à travers le monde (Europe, Asie, Amérique du Nord …) [5], et démontre que les individus ayant un statut socio-économique bas vivent dans des zones urbaines où le bruit est plus élevé. Ceci s'explique par le fait que ces populations vivent dans des logements insalubres et mal équipés pour protéger des nuisances extérieures. De plus, ces logements sont souvent plus accessibles financièrement aux populations défavorisées car justement, ils sont précaires et situés en périphérie des villes, près des sources de nuisance.
Il apparait alors crucial d’évaluer l’exposition au bruit des populations urbaines afin que les villes agissent pour préserver la santé mentale et physique de leurs habitants. Certaines applications existent aujourd’hui pour permettre aux habitants d’évaluer le niveau de bruit de leur environnement, comme Bruitparif à Paris ou encore Soundcity. Egalement, des recherches sont menées pour comprendre comment la planification urbaine peut affecter la pollution sonore, et montrent par exemple que la présence de parcs agit comme un rempart au bruit urbain, car la végétation absorbe les ondes sonores [5]. Ces initiatives doivent être promues pour améliorer le bien-être au sein des villes, et les rendre plus confortables pour tous.
Chez [S]CITY, nous pensons que les perceptions et émotions des habitants des villes doivent nécessairement être pris en compte dans les décisions publiques, particulièrement lorsque des inégalités environnementales sont susceptibles de creuser les inégalités sociales.
Emma et la [S]CITeam