La tête dans le guidon : entre GPS et cognition

Entre 1908 et 1939, Michelin proposait un « bureau des itinéraires » qui permettait sur simple requête de recevoir par la poste l’itinéraire détaillé pour se rendre à une destination. Un temps qui paraît bien lointain aujourd’hui. Quand récemment ma mère s’est lancée dans de grandes explications pour expliquer à mon frère comment se rendre à un endroit en voiture, il a trouvé la démarche pour le moins saugrenue : à quoi bon s’échiner à communiquer un itinéraire à l’heure de Google Maps, Waze et consorts ?

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L’histoire de la navigation spatiale est sans doute aussi vieille que l’humanité. À travers les époques différents dispositifs sont apparus et se sont sophistiqués, que ce soit pour nous aider à planifier notre itinéraire, notamment avec les cartes, ou nous aider à suivre notre chemin, notamment avec la boussole et la signalétique. Les GPS embarqués sur nos smartphones semblent, il est vrai, être la parfaite solution à tous ces maux ; tant et si bien que l’on pourrait croire à une « fin de l’histoire » de la navigation spatiale – du moins tant qu’il nous reste de la batterie.

Mais la réalité est plus rêche qu’elle n’en a l’air. Comme les outils qui l’ont précédé, le GPS joue d’une interaction fine et complexe entre nos capacités cognitives, les fonctionnalités qu’il offre et la variété des situations du quotidien. Par exemple, comparer deux distances géographiques entre elles n’est pas une opération simple à effectuer mentalement, mais en offrant une traduction visuelle, la carte facilite grandement les choses. Le GPS n’échappe pas à la règle. Certes, il permet de calculer automatiquement un itinéraire, mais son suivi nécessite parfois des ajustements du fait de nos capacités cognitives. Cela est particulièrement saillant pour les trajets en vélo car dans ces situations, faute de pouvoir consulter régulièrement son GPS, il faut naviguer en ayant retenu l'itinéraire. L’algorithme calcule l’itinéraire le plus court, mais ce n’est pas forcément le plus simple à mémoriser : du moins j’ai pu constater que bien souvent je me retrouve à ne pas suivre l’itinéraire qui m’avait été donné.

À quoi pourrait ressembler alors un GPS qui prenne un peu plus en compte nos capacités cognitives ?

Peut-être pourrait-il s’appuyer davantage sur nos points forts, comme notre capacité à mémoriser naturellement des trajets que l’on effectue fréquemment. En effet, pour les trajets peu connus nous nous orientons à partir des éléments de notre environnement comme les noms des rues ou des bâtiments particuliers (navigation allocentrique), ce qui est coûteux d'un point de vue cognitif. Mais lorsque l’on effectue un trajet régulièrement, nous créons une carte mentale qui nous permet de garder en mémoire l’itinéraire et les directions à prendre (navigation égocentrique). Ainsi, sur ces itinéraires familiers, nous avançons en quelque sorte en “pilote automatique” [1]. Les GPS pourraient alors tirer parti de cette capacité, et proposer par exemple des itinéraires empruntant des portions de chemins familiers, ce qui nous demanderait alors bien moins d’efforts pour arriver à destination.

Pour aller du Centre Pompidou à Boulogne Google Maps ne propose pas de passer par les quais, ce qui serait pourtant l’itinéraire le plus simple à suivre.

Pour aller du Centre Pompidou à Boulogne Google Maps ne propose pas de passer par les quais, ce qui serait pourtant l’itinéraire le plus simple à suivre.

L’tinéraire proposé par CityMapper occasionne deux changements de direction lorsqu’un seul pourrait suffire en continuant sur l’avenue Jean Jaurès.

L’tinéraire proposé par CityMapper occasionne deux changements de direction lorsqu’un seul pourrait suffire en continuant sur l’avenue Jean Jaurès.

Peut-être aussi que le GPS pourrait prendre en compte le fait que notre mémoire à court terme a une capacité limitée à environ 7 éléments [2]. C’est à dire que nous ne pouvons retenir qu’un nombre restreint d’informations à un moment donné. De fait, un itinéraire comprenant de multiples changements de direction est susceptible de surcharger notre mémoire de travail et d'être moins facilement retenu. Pourquoi ne pas favoriser les itinéraires occasionnant moins de changements de direction sans toutefois trop allonger le temps de parcours ? Ceci pourrait fluidifier les trajets, en limitant les consultations de son écran pour se rafraichir la mémoire.

Le vélo étant une alternative efficace et durable à la voiture de plus en plus plébiscitée, il est essentiel d’agir pour faciliter et promouvoir son utilisation, en s’appuyant sur ce que l’on sait sur le fonctionnement du cerveau. Réfléchir à de nouvelles manières d’envisager la ville par le prisme des sciences cognitives, c’est ce type de possibles que nous explorons chez [S]CITY.
 

Pierre et la [S]CITeam

 

Références :

[1] Klatzky, R. L. (1998). Allocentric and egocentric spatial representations: Definitions, distinctions, and interconnections. In Spatial cognition (pp. 1-17). Springer, Berlin, Heidelberg.

[2] Miller, G. A. (1956). The magical number seven, plus or minus two: Some limits on our capacity for processing information. Psychological review, 63(2), 81.

2[S]CITY Team mobilité